Les crimes contre les femmes syriennes dans les prisons d’Assad

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Des femmes de Banias et Al Bayda manifestent ensemble, le 27 avril 2011

Le reportage « Syrie, le cri étouffé », diffusé le 12 décembre sur la chaine de télévision nationale France 2, a rappelé le calvaire et les violences perpétrées contre les femmes dans les géoles du régime Assad. Les témoignages de femmes violées et victimes de crimes sexuels perpétrés par leurs géoliers ont particulièrement suscité l’émotion auprès de plus d’un million de téléspectateurs.

Les viols ont constitué une puissante arme de répression des services de sécurité et miliciens du régime Assad depuis le début du soulèvement populaire en mars 2011. Dès le printemps 2011, des femmes ont été agressées et / ou violées par des miliciens au niveau des barrages dans la rue. Pire, des campagnes de viols par des milices pro-régimes ont été organisées à l’intérieur des maisons alors que s’y trouvaient les familles. Des filles ont été violées devant leur père, des femmes devant leur mari.

Les femmes emprisonnées dans les prisons du régime Assad ont subi des sévices inhumains. Une femme parmi tant d’autres raconte notamment son calvaire: “Les viols par cinq ou dix hommes, qui déchiraient les femmes en criant : ‘Ton frère ou ton mari s’est révolté contre le régime ? Ils veulent la liberté ? Eh bien voilà ce qu’on leur répond ! Tiens ! Tiens ! Violée, tu ne vaux plus rien ! Voilà ce que récoltent les salauds !'”. Leurs corps sont devenus des champs de torture, de bataille et d’humiliation pour les hommes au services du régime criminel d’Assad. Le régime Assad inflige cela aux femmes « pour briser les familles, briser la société et briser enfin la révolution, selon la réalisatrice du reportage « Syrie, le cri étouffé », Marion Loizeau, .

Difflrentes organisations des droits humains parlent de plus de dizaines milliers de cas de viols dans les prisons du régime de Damas. C’est un crime organisé et planifié de grande ampleur. Sa nature systématique, planifiée et de grande ampleur par des organes de l’état en feraient donc un crime contre l’humanité. Les chiffres sus-mentionnés sont considérés comme conservateurs car dans de nombreux cas les femmes survivantes ne souhaitent pas s’exposer au stigma et tabous entourant le viol et les violences sexualles. C’est pourquoi les traitements inhumains et dégradants et les actes de torture subis par les femmes en prison sont très difficiles à documenter.

Les femmes emprisonnées sont donc doublement victimisées et isolées : de la part du régime, mais aussi de la part de leurs propres familles et société qui les rejettent, et dans certains cas vont même plus loin en les tuant. Les structures patriarcales de la société viennent renforcer la torture organisée par le régime Assad, qui lui-même joue sur ces structures : le viol est sciemment utilisé pour ‘déshonorer’ l’ensemble de la famille, voire le clan ou le quartier, se basant sur le stéréotype sexiste que l’honneur d’une famille repose sur la respectabilité des femmes qui en font partie. . L’injustice est ainsi à son comble : la femme est coupable d’être victime, ou supposée victime, puisque la simple détention dans un centre de renseignement équivaut à une présomption de viol. Les familles explosent souvent. Des maris rejettent leur épouse et divorcent. Des parents se précipitent pour marier leurs filles au premier volontaire venu, fût-il âgé et déjà marié, pensant à tort qu’un mariage, quand bien même fût-il précoce, sera une protection contre les violences sexuelles. Les crimes « d’honneur » et suicides d’ex-détenues sont également devenus malheureusement plus fréquents.

Maryam, l’une des rares femmes qui a osé témoigner à visage découvert dans le film a été rejetée par son mari, sa mère, ses frères et sœurs. Elle vit aujourd’hui réfugiée en Turquie, et tente de survivre seule avec ses cinq enfants. Elle a néanmoins décidé de résister en prenant la parole et en luttant pour les droits des femmes et des filles syriennes. En septembre dernier, elle a ouvert à Hatay une école (Al Kalam, La plume) pour trente fillettes syriennes mariées de force à des hommes plus âgés profitant de la marginalisation des réfugiés dans les sociétés d’accueil. Elles ont pu divorcer.[1]

Marion Loizeau explique que ces « femmes parlent parce qu’il y a encore des milliers de femmes syriennes en prison. Elles espèrent que les bourreaux seront mis en prison», preuve que même les tortures les plus dures du régime Assad ne parviennent pas à détruire la détermination des survivantes dans leur quête de justice et de réparations. Depuis 2011, environ 65 000 Syriens auraient disparu, probablement victimes d’arrestations arbitraires, selon les estimations du réseau syrien des droits de l’homme (SNHR). En février 2017, l’initiative Familles pour la paix lancée par des femmes de disparus à Genève demande aux différents des négociations à s’emparer du dossier des disparus et la libération de tous les prisonniers détenus abusivement en Syrie, ainsi que la publication d’une liste de tous les captifs et de leur lieu de détention.

L’idée du sexe comme une conquête, associée à la masculinité toxique, est intégralement connectée avec la sexualisation de la domination. Dans l’histoire, les conqêtes militaires et repressions se sont très souvent accompagnées de mesures de contrainte et crimes sexuels, car comme le notait la féministe et marxiste Angela Davis, « c’était la politique non écrite du commandement états-unien au Vietnam d’encourager systématiquement le viol, car c’était une arme de terrorisme massif extrèment efficace ». L’armée japonaise durant la seconde guerre mondiale a asservi des chinoises, coréénnes, taiwanaises, et autres femmes de territoires conquis comme des esclaves sexuelles (appelés des « femmes de réconfort »), souvent présentés comme des « gains de guerre ». De même, les geôliers dans les prisons israéliennes utilisent différentes formes d’harcèlement sexuels et humiliations contres les prisonnières palestiniennes. Le harcèlement sexuel et l’humiliation dans toutes ses formes, y compris tentatives et / ou viols, sont utilisés pour dissuader les femmes de participer dans les luttes et pour asseoir la domination de la puissance répressive.

Les agressions sexuelles et les viols renforcent les relations de pouvoir en marquant la conquête par le dominant et la domination des subordonnés.

“L’injustice pour la femme c’est d’être punie par la société et le régime. Le régime la viole et la société la rejette”, raconte une des victimes. C’est pourquoi la lutte contre les différentes formes de dictatures, absolument fondamentale, et leurs barbarismes doit s accompagner d’une lutte contre les différentes formes d exploitations et d oppressions dans la société, et dans ce cas contre le système patriarcale et sexiste.

Joseph Daher

18/12/2017

Version longue d’un article qui sera publié dans le journal solidaritéS dans le numéro 320 https://www.solidarites.ch/journal/

[1] Voir ce lien pour aider l’organisation de Maryam http://www.liberation.fr/direct/element/une-collecte-lancee-pour-aider-une-des-femmes-du-documentaire-syrie-le-cri-etouffe-a-ouvrir-une-ecol_75012/?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Facebook

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